Le Role Des Instances Intermediaires:
Les Organisations Professionnelles Agricoles Et Les Chambres D'agriculture
La société civile est désormais appelée à tenir une plus grande place et à jouer un rôle plus important dans ce contexte politique et économique nouveau. Pour cela, elle a besoin de s'organiser et de renforcer ses capacités, affaiblies par sa mise à l'écart des instances de décisions et sa marginalisation politique et économique pendant les décennies passées.
La professionnalisation de l'agriculture est une action qui contribue au renforcement de la société civile et participe au processus de privatisation. Son objectif est de donner aux agriculteurs la place qui leur revient dans la société civile, en facilitant leur accès aux circuits économiques et aux marchés dont ils étaient exclus et en intégrant leurs activités à l'ensemble de l'économie.
Elle se présente comme un processus de structuration à long terme de la profession agricole comportant:
- d'une part, la reconversion des organisations agricoles à caractère économique, comme les coopératives et les groupements précoopératifs, pour en faire des unités professionnelles, gérées de façon autonome par les agriculteurs et répondant aux critères d'efficacité et de rentabilité;
- et d'autre part, la mise en place d'organisations professionnelles d'un nouveau type dont la mission est de représenter les agriculteurs et de participer en leur nom à l'élaboration et à la mise en oeuvre des politiques et des programmes de développement rural.
Dans le cadre des actions de restructuration menées jusqu'ici, la mise en place de ces organisations s'est traduite par la création, ou par la restructuration de Chambres d'Agriculture. Celles-ci, constituent pour les agriculteurs, un modèle institutionnel de représentation dans les nouvelles politiques, un moyen d'expression et un outil de participation.
1. Les principes devant régir les chambres d'agriculture
Les Chambres d'Agriculture doivent obéir aux principes de base suivants:
- Le caractère professionnel qui signifie que seuls les producteurs agricoles ou assimilés, tels qu'éleveurs, sylviculteurs, pêcheurs, etc., peuvent être représentés par ces organisations;
- L'universalité selon laquelle toute personne physique ou morale qui satisfait aux critères fixés par le statut de producteur agricole est automatiquement ressortissante de l'organisation;
- La représentativité de la diversité des agriculteurs suivant laquelle chaque catégorie d'agriculteurs, dans les différents systèmes de production, doit être représentée et peut exprimer son point de vue pour être pris en compte dans les analyses des problèmes et dans les propositions de politiques agricoles. Ce principe conduit à envisager des collèges correspondants aux catégories identifiées d'exploitants agricoles. Un collège peut ainsi être prévu pour les femmes par exemple, pour les pasteurs ou pour toute autre catégorie, en raison de la spécificité de leurs problèmes;
- L'autonomie, c'est à dire la liberté de choix par les Chambres d'Agriculture de leurs objectifs de développement et de leurs programmes d'actions et la gestion de leurs ressources propres sans ingérences extérieures;
- La décentralisation qui signifie que l'ensemble du système de représentation des agriculteurs ainsi que le processus décisionnel doivent partir de la base. Cette décentralisation est la condition nécessaire pour la participation effective des agriculteurs et pour la prise en compte des réalités locales. La décentralisation des Chambres d'Agriculture ne signifie pas leur dispersion. Le dispositif institutionnel de représentation des agriculteurs doit être conçu comme un ensemble de structures décentralisées, constituant un réseau national qui facilite les échanges et la coopération entre elles et renforce l'unité de l'ensemble du système représentatif face à ses partenaires publics et privés;
- L'incompatibilité entre mission de représentation et activités commerciales : Les fonctions des Chambres d'Agriculture ne doivent en aucun cas conduire à des transactions commerciales avec les agriculteurs qui sont leurs ressortissants.
2. Les fonctions des Chambres d'agriculture
La mission essentielle des Chambres d'Agriculture est de représenter les agriculteurs afin d'assurer leur participation á l'élaboration et à la mise en oeuvre des politiques et des actions de développement agricole. La réalisation de cette mission passe par celle de trois fonctions principales:
- la fonction de consultation;
- la fonction d'information et formation des agriculteurs;
- la fonction d'appui à l'organisation professionnelle des agriculteurs.
Bien que reconnues par la loi comme l'interlocuteur officiel des pouvoirs publics, les chambres d'agriculture n'ont pas l'exclusivité pour l'exercice de ces fonctions. Celles-ci peuvent en effet être menées par d'autres acteurs, le rôle des chambres d'agriculture dans ces cas est de favoriser la concertation entre tous ceux qui les exercent au bénéfice des agriculteurs.
La fonction de consultation
Elle consiste d'une part à faire connaître et prendre en compte le point de vue des agriculteurs sur leur situation et celle du secteur agricole et d'autre part à participer à l'élaboration des mesures de politiques agricoles à prendre et aux choix à faire en matière de développement rural.
Cette fonction s'exerce d'abord en direction de l'Etat et se traduit par l'information des pouvoirs publics sur la situation des différentes catégories d'agriculteurs et sur l'appréciation par chacune d'elles des mesures économiques prises et de leur application. Elle devrait donner aux chambres d'agriculture le droit de siéger dans toutes les instances de délibération et de décision sur les questions agricoles, du niveau local jusqu'au niveau national. Elle devrait également rendre obligatoire leur consultation, préalablement à toute décision, sur les programmes d'équipement et d'aménagement locaux, régionaux et nationaux et sur les implantations industrielles afin de veiller à la protection des exploitations agricoles et des ressources naturelles.
Pour être en mesure d'assurer correctement cette fonction, les chambres d'agriculture doivent disposer des capacités leur permettant de:
- suivre les situations des filières de productions agricoles et des différentes catégories d'agriculteurs et analyser les facteurs micro et macro-économiques qui commandent leurs évolutions, en prenant en compte le point de vue des agriculteurs;
- élaborer, avec la participation des agriculteurs, les propositions de mesures permettant l'amélioration de la situation des différentes catégories d'agriculteurs et des filières de production;
- faire connaître et valoir les points de vue et propositions des agriculteurs, dans toutes les instances et à tous les niveaux, auprès des pouvoirs publics et de leurs partenaires des autres professions.
La fonction d'information
Cette fonction s'adresse à trois sortes de publics avec pour objectifs de faciliter l'intégration des productions agricoles aux marchés, de contribuer à l'amélioration de la qualité de la vie en zones rurales et d'assurer un meilleur équilibre entre les villes et les campagnes.
Dans cet esprit, elle s'adresse en priorité aux producteurs agricoles pour leur fournir les informations leur permettant d'orienter leurs productions en fonction des exigences des marchés et d'adapter leurs activités au contexte économique et réglementaire existant. En même temps, elle doit aider les exploitants agricoles à améliorer leurs capacités de gestion et d'organisation pour effectuer de meilleurs choix de productions et d'investissements et accroître leur compétitivité face à la concurrence qu'ils doivent affronter. Elle doit également contribuer à améliorer le savoir faire des agriculteurs, de façon complémentaire à l'action menée par les institutions spécialisées en ce domaine. Pour cela, les chambres d'agriculture doivent disposer de banques de données agro-climatiques, techniques, économiques, commerciales et réglementaires, constamment mises à jour et facilement accessibles aux agriculteurs et techniciens chargés de les conseiller. Leurs contenus doivent concerner les activités agricoles locales et faire l'objet de larges diffusions, en utilisant tous les supports oraux, écrits et audiovisuels existants localement et sous des formes d'expressions répondant aux exigences des différentes catégories d'agriculteurs.
De façon plus large, elle s'adresse aux populations rurales à travers les médias les plus accessibles pour eux comme les radios rurales, que les Chambres d'Agriculture devraient développer et animer avec la participation des différents groupes, dans le cadre de programmes qui leurs sont spécifiques.
Elle est également tournée vers les pouvoirs publics et les partenaires économiques publics et privés des agriculteurs et en premier lieu vers les organisations professionnelles des autres secteurs d'activités comme les Chambres de commerce, d'industrie et d'artisanat. Il s'agit de les informer sur la situation du secteur rural, sur ses problèmes et priorités et sur ses souhaits et propositions pour en tenir compte et orienter leurs actions de façon favorable au secteur agricole. Ce type d'information est destiné à faciliter l'intégration entre les activités agricoles et celles des autres secteurs économiques et un meilleur équilibre entre villes et campagnes . A cet effet, tous les moyens médiatiques existants doivent être utilisés, avec une priorité aux rencontres inter-professionnelles d'informations et de concertations et aux journées d'études sur des thèmes d'actualité agricole.
La fonction d'appui à l'organisation professionnelle des agriculteurs
Il revient aux agriculteurs de créer par eux-mêmes, leurs organisations et de contribuer ainsi à la professionnalisation de l'agriculture, base de leur participation au développement et de leur intégration harmonieuse à l'économie de marché.
Il est reconnu que les organisations professionnelles agricoles sont des acteurs importants de la société civile et que leur développement contribue à la renforcer. Elles acquièrent a ce titre, un rôle important dans les processus de privatisation en offrant des formules institutionnelles de relève de l'Etat, décentralisées, adaptées aux particularités du monde agricole et faisant appel à la participation des agriculteurs.
Cette fonction se traduit pour les Chambres d'Agriculture par la possibilité de suivre et d'analyser la situation des organisations d'agriculteurs, et de proposer les mesures politiques et législatives à prendre en faveur du développement de leurs activités. Elle consiste également à leur procurer les conseils dont elles ont besoin, en mobilisant les appuis qui leur sont nécessaires de la part des institutions publiques et privées existantes. Cette fonction va de pair avec celle d'information et formation. Elle vise avec elle, à étendre et à renforcer la structuration à tous les niveaux du monde agricole et à aider les agriculteurs, en particulier les jeunes d'entre eux et les femmes, à créer un cadre adapté pour l'amélioration de leurs activités.
3. L'organisation institutionnelle des chambres d'agriculture
L'organisation des Chambres d'Agriculture comporte deux types de structures:
- Les organes élus qui représentent les agriculteurs et qui sont seuls habilités à parler en leur nom. Ils ont la responsabilité des activités de type institutionnel qu'ils assument avec l'appui des organes d'exécution technique et opérationnelle. Ils disposent de tout le pouvoir de décision en ce qui concerne la gestion des Chambres, le choix des objectifs et des programmes d'actions, l'affectation et l'utilisation des moyens et les prises de positions et propositions de politiques et de développement agricoles à défendre auprès des pouvoirs publics et des partenaires privés.
Les organes élus sont définis par les textes créant les Chambres d'Agriculture. Ils sont issus des élections et constituent les organes souverains des Chambres. Leur nature, leurs prérogatives et leurs règles de fonctionnement sont les mêmes pour toutes les Chambres. Leur composition peut varier en fonction de la composition de la population d'agriculteurs de la région.
- Les organes d'exécution technique et opérationnelle qui agissent sous l'autorité des organes élus. Leur mission est de les assister dans la réalisation des objectifs et programmes d'activités, dans la gestion de leurs moyens et dans la préparation de leurs propositions en matière de politiques et de développement agricoles.
Les organes d'exécution technique et opérationnelle constituent la structure technico-administrative des Chambres. Ils peuvent comporter des structures ressemblantes, pour les tâches communes à toutes les Chambres comme la gestion administrative et financière et l'information des agriculteurs. Ils peuvent avoir en outre, des structures dont l'organisation et les moyens peuvent être différents d'une Chambre à l'autre, pour répondre aux spécificités régionales.
Le dispositif d'ensemble
La Chambre d'Agriculture est constituée par l'ensemble des exploitants agricoles et leurs organisations qui en sont les «ressortissants». Les organes constitutifs souverains de la Chambre d'Agriculture sont formés par leurs membres élus à partir de la base et représentants les différentes catégories d'agriculteurs et d'organisations professionnelles agricoles de la circonscription.
Pour défendre les points de vue et les intérêts des agriculteurs, elles doivent être présentes au niveau régional ou provincial et au niveau national qui sont deux niveaux stratégiques de décisions Dans cet esprit, le dispositif d'ensemble se présente sous forme de Chambres Régionales d'Agriculture décentralisées et autonomes formant entre elles un réseau animé et géré au niveau national, par une association des Chambres Régionales.
La constitution des Chambres Régionales
Pour respecter la décentralisation et refléter la diversité agricole locale, la constitution des Chambres Régionales d'Agriculture suit un processus à plusieurs niveaux, local, "intermédiaire" et régional:
- Au niveau local, chaque " unité de base" (en général le village) réunit "son assemblée de base des agriculteurs". Celle-ci désigne, trois représentants pour chacun des collèges existants. Il convient de rappeler que chaque collège correspond à un secteur d'activités, à une filière comme les cultures céréalières, l'élevage, l'exploitation forestière, la pèche, etc. ou à une catégorie de producteurs. Ces collèges sont définis sur la base d'un zonage agro-écologique et d'une typologie effectués à la base, avec la participation des agriculteurs afin de traduire la diversité des agricultures et des exploitations agricoles.
- Au niveau intermédiaire, l'ensemble de ces représentants de base forme "l'assemblée consulaire de l'échelon intermédiaire", situé entre le niveau local et la région ou la province. Cette assemblée élit en son sein et par collège, "ses délégués consulaires", de canton, d'arrondissement, ou de préfecture,... selon l'appellation dans le pays.
- Au niveau régional ou provincial, l'ensemble des délégués consulaires de cet échelon intermédiaire forme "l'assemblée consulaire de la Chambre Régionale d'Agriculture" qui comprend en plus, les représentants élus des organisations professionnelles agricoles à caractère coopératif ou syndical de différents niveaux y compris les caisses mutuelles de crédit et d'assurances agricoles.
Cette assemblée consulaire élit en son sein le "bureau exécutif" ainsi que le président et les vice-présidents de la Chambre Régionale d'Agriculture. Ceux-ci sont chargés de représenter les agriculteurs, de parler en leur nom et de gérer leur Chambre Régionale d'Agriculture pour la réalisation de ses fonctions et de ses objectifs. La gestion de la Chambre Régionale d'Agriculture, s'effectue sous le contrôle de l'assemblée consulaire qui adopte les programmes d'activités et les budgets, traduit le points de vue des agriculteurs sur les questions importantes qui les concernent, après consultations de la base et évalue la gestion et les résultats du bureau exécutif.
Le réseau et l'Association Nationale des Chambres Régionales d'Agriculture
Le réseau est institutionnalisé sous forme d'Association Nationale des Chambres d'Agriculture, chargée de coordonner et d'animer les activités dudit réseau à échelle nationale. Son existence n'affecte en rien le caractère décentralisé et autonome des Chambres Régionales dont elle est l'émanation et sur lesquelles elle n'a aucun pouvoir hiérarchique ou de tutelle dans la mesure où ce sont elles qui lui définissent ses activités et lui procurent ses moyens de fonctionnement.
Cette association est une structure très légère, constituée d'un bureau exécutif, formé par les présidents des Chambres régionales qui élisent parmi eux un président de l'association et des vice-présidents. Sur la base de la synthèse des points de vue exprimés par les Chambres Régionales, ce bureau élabore les positions communes à défendre au niveau national dans les instances de décisions et auprès du Gouvernement et des autres partenaires publics et privés des agriculteurs. En outre, il gère l'association et les actions ou projets communs à plusieurs Chambres Régionales. Pour rester proches de leurs instances de base, les membres du bureau de cette association continuent à exercer leurs fonctions de présidents de Chambres Régionales.
Cette association a un rôle important dans l'information d'abord des agriculteurs sur leur environnement économique national et international, ensuite des pouvoirs publics sur le point de vue des agriculteurs et enfin, des partenaires extérieurs pour développer la coopération avec les professions agricoles des autres pays. Les actions dans ce cadre sont relayées par celles des Chambres Régionales, jusqu'au niveau des exploitations agricoles. Elles doivent pour cela user de tous les moyens existants déjà cités, en mettant l'effort sur l'organisation de rencontres répétées avec les agriculteurs.