page
d' accueil index du site Information Générales
|
Contributor: FAO Contact Person: Jean Bonnal |
La décentralisation n'a pas seulement une valeur administrative; elle a une portée civique puisqu'elle multiplie les occasions pour les citoyens de s'intéresser aux affaires publiques; elle les accoutume à user de la liberté. Et de l'agglomération de ces libertés locales, actives et sourcilleuses, naît le plus efficace contrepoids aux prétentions du pouvoir central, fusent-elles étayées par l'anonymat de la volonté collective. |
I. IntroductionLes politiques de décentralisation font partie des initiatives les plus fortes pour soutenir le développement rural. Dans sa définition la plus élémentaire, la décentralisation désigne le transfert d'une partie du pouvoir de l'Etat national à des instances régionales ou locales. Du point de vue de l'action publique, à l'impératif d'unité de cette action correspond la centralisation; à la revendication de diversité, la décentralisation. Toutes les deux coexistent dans les différents systèmes politiques. Un consensus paraît se dégager, plus nettement au cours des années 80 et 90, pour reconnaître qu'un excès de centralisation ou une autonomie locale absolue seraient également déplorables et qu'il faut œuvrer à la mise en place d'une meilleure collaboration entre les centres de décision nationaux, régionaux et locaux.Le regain d'intérêt pour cette forme d'organisation de l'Etat qu'est la décentralisation,(1) vient de la reconnaissance qu'une prise de décisions moins centralisée permettrait d'améliorer l'efficacité et la responsabilité des institutions publiques nationales ainsi que la capacité des gouvernement locaux et de la société civile à gérer leurs propres affaires. Les recherches récentes de différentes organisations internationales confirment ce point de vue: "La décentralisation a tenu ses promesses en ce qui concerne le renforcement de la démocratie au niveau national ainsi que l'engagement du gouvernement central en faveur du développement rural. Elle a ainsi contribué au retournement du biais urbain du développement, à mieux gérer la complexité de la coordination des projets de développement rural intégré et à améliorer leur durabilité. La décentralisation a également réduit la pauvreté qui découle des disparités régionales en prêtant plus d'attention à ses facteurs socio-économiques, en facilitant l'augmentation progressive des efforts de développement et la promotion de la coopération entre le gouvernement et les organisations non gouvernementales, tout en accroissant la transparence, la responsabilisation et la capacité de réponse des institutions".(2)Ces constatations ont conduit certains Etats à se tourner vers des approches décentralisées du développement, d'autant plus que les processus de démocratisation sont forts et que les nouvelles organisations de la société civile revendiquent leur participation dans la prise de décision. L'échelon local cesse d'être considéré comme le point d'application d'orientations de développement décidées par des intervenants extérieurs, pour devenir le lieu où les acteurs locaux définissent les orientations de leur développement et les mettent en œuvre. De plus, l'action publique admet la nécessite de la participation populaire pour augmenter son efficacité et assurer la pérennité des interventions entreprises. L'objectif du chapitre est de placer les processus de décentralisation en cours dans le contexte de leur émergence afin de comprendre le cheminement parcouru jusqu'aux situations actuelles.(3) Trois grandes tendances en matière de décentralisation sont identifiables:
II. Les Grandes Tendances de la Decentralisation et du Developpement RuralIl s'agit ici de retracer les tendances qui ont permis de passer de la construction et intervention des Etats fortement centralisés apportant une grande partie des services aux populations rurales vers, d'abord, le désengagement de l'Etat et la redéfinition de ses mandats et, ensuite, le renforcement des rôles et responsabilités des instances issues de la société civile ainsi que des différentes formes de gouvernement local.1. Un nouveau partage des responsabilités, des états centralisés à la déconcentrationLa première grande tendance de la décentralisation a consisté en la déconcentration administrative.(4) Dans le cadre des processus de déconcentration, les différents ministères sectoriels ont transféré une partie de leurs fonctions et compétences à des antennes régionales et/ou locales. Cette forme limitée de la décentralisation ne vise que les rapports entre les organes centraux et leurs divers échelons. La déconcentration signifie que le pouvoir de décision reste au sommet, les autres échelons n'ayant qu'un rôle de transmission de demandes et d'exécution des décisions. Si le pouvoir de décision sur les questions décisives reste au sommet, les échelons déconcentrés peuvent disposer d'un pouvoir de décision par délégation sur des questions moins importantes.(5) Lorsqu'ils entament un processus de déconcentration, les gouvernements cherchent surtout à rapprocher leurs services du citoyen, soit en transférant une partie de l'effectif administratif sur un territoire donné, soit en confiant des responsabilités aux gestionnaires locaux et régionaux, tout en préservant le contrôle administratif et la tutelle a priori sur les décisions prises localement.D'un point de vue conceptuel, il serait concevable de considérer que la déconcentration n'est pas à proprement parler une forme de la décentralisation mais qu'il s'agit en réalité de deux processus foncièrement distincts: la déconcentration consiste, pour le pouvoir central, à remettre des pouvoirs de décision à ses propres agents locaux alors que dans la décentralisation au sens strict le transfert des pouvoirs concerne des organes ou personnes élus par les populations locales. Autrement dit, la décentralisation implique la gestion par les populations et leurs élus des affaires locales qui les concernent le plus directement. Pour arriver à la décentralisation au sens strict, il a néanmoins fallu passer par cette tentative de mettre en place un nouveau partage de responsabilités entre les institutions nationales et leurs unités régionales ou locales. Malgré son caractère limitée, la déconcentration a permis d'associer les administrés à la prise des décisions. Elle a aussi fait apparaître la nécessité d'une vraie décentralisation et d'un renforcement de la démocratie au niveau local. Les expériences de déconcentration, suivies ou pas d'une avancée vers la décentralisation au sens strict, apparaissent aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement, avec toutefois une temporalité différente. A quelques exceptions près, la naissance des Etats-nation a toujours pris la forme d'un État fort et d'une administration centralisée. Depuis le XIXème siècle dans la plupart des pays développés et au cours de la deuxième moitié du XXème siècle dans les pays en développement, plusieurs vagues de déconcentration sont venues contrecarrer ces deux caractéristiques des Etats-nation, donnant lieu à un nouveau partage du pouvoir de décision entre l'Etat central et ses antennes régionales et locales. La déconcentration a été vue dans un premier temps comme une méthode plus performante d'organisation du travail des administrations publiques, permettant de mieux apprécier les nécessités de chaque catégorie de citoyens. Elle était donc considérée comme une condition d'efficacité pour l'Etat. Mais il était admis également que le besoin de coordination et la nécessité de faire prévaloir l'intérêt général dans l'action publique, impliquaient que l'Etat ne pouvait pas conférer aux collectivités locales tous les pouvoirs. D'autres considérations liées à la démocratisation sont venues renforcer les tendances à la déconcentration, qui apparaissait en effet comme un moyen de contrecarrer la désaffection des citoyens à l'égard des collectivités locales.(6) Néanmoins, le passage de la déconcentration à la décentralisation au sens strict n'a pas pu aboutir dans le contexte de la reconstruction économique après la Seconde Guerre mondiale, et de la construction des nouveaux Etats-nation après la période de décolonisation, qui impliquaient toutes les deux une politique volontariste et très centralisée de planification, d'aménagement du territoire et de développement économique. La déconcentration fut alors privilégiée malgré les revendications des collectivités en faveur d'une décentralisation par dévolution. En ce qui concerne le secteur agricole et le développement rural, la modalité principale d'intervention des Etats a consisté, durant les années 60 et 70, dans le lancement de grands projets de développement rural intégré. Ils se caractérisaient par une forte centralisation de l'intervention publique et des formes timides de délégation vers des agences semi-autonomes avec des fonctions bien précises comme la commercialisation, la vente d'inputs, le crédit agricole ou les infrastructures d'irrigation. Les résultats de ce modèle d'intervention ont été insatisfaisants et la durabilité des équipements n'a pas pu être assurée. Malgré la déconcentration de certains de ces grands projets, leurs méthodes d'intervention nationales et descendantes ont été l'une des causes qui expliquent leur mauvaise appropriation. Les enseignements de ces expériences mettent en évidence la difficulté d'obtenir des résultats significatifs et durables par des approches trop centralisées. Leur principal défaut consiste en ne pas réussir à mobiliser les populations rurales car leurs objectifs ne correspondent pas nécessairement aux priorités de ces populations, s'inscrivant plutôt dans une perspective de long terme difficilement adaptée aux préoccupations immédiates des producteurs. 2. Désengagement de l'Etat, libéralisation économique et décentralisationLes revers des formes centralisées de l'intervention de l'Etat et l'apparition des limites de la déconcentration, ainsi que le renouveau des thèses libérales incarné dans les programmes d'ajustement structurel et les politiques de stabilisation macro-économique, sont autant d'éléments d'une nouvelle adaptation des services publics dans le sens d'une véritable décentralisation.(7)Au cours des années 80 et plus intensément dans les années 90, les gouvernements ont cherché à surmonter les limites de la déconcentration en transférant le pouvoir de décision non plus aux échelons locaux des organes centraux ou à des agences publiques semi-autonomes, mais aux collectivités locales élues ainsi qu'aux organisations de la société civile. La décentralisation par dévolution consiste alors dans le transfert des fonctions, des ressources et du pouvoir de décision aux populations elles-mêmes qui exercent ce pouvoir au travers soit de leurs niveaux locaux de gouvernement, soit de leurs organisations représentatives. Si l'on accepte que la déconcentration est une forme de la décentralisation, on peut dire que cette deuxième tendance à la dévolution consiste dans le passage d'une décentralisation administrative vers une décentralisation politique. On parle de décentralisation politique lorsque l'instance décentralisée dispose de sources autonomes de revenus et que ses dirigeants sont élus au suffrage universel. La décentralisation administrative implique par contre que l'instance décentralisée reste subordonnée à l'Etat, que ses dirigeants sont en général nommés, et qu'elle ne dispose pas d'une grande autonomie dans l'utilisation de ses ressources. La décentralisation administrative est donc davantage associée à la notion de déconcentration, tandis que la décentralisation politique implique une véritable dévolution du pouvoir. Autrement dit, le transfert de fonctions et de ressources entre les différents niveaux du gouvernement national (la déconcentration), s'enrichit avec le transfert du pouvoir de décision et des ressources du gouvernement vers la société civile (dévolution). Ces nouvelles réformes décentralisatrices par dévolution,( ) se caractérisent par quatre changements principaux qui cherchent à rendre compatibles les objectifs d'efficacité et de démocratie locale:
Par ailleurs, la gestion d'un espace de plus en plus malmené par une exploitation démesurée et désordonnée des ressources naturelles, a fait apparaître un deuxième groupe de raisons conduisant à la mise en place de la décentralisation par dévolution, moyennant la création de structures intermédiaires fonctionnant selon le principe de subsidiarité. En accord avec ce principe, chaque échelon doit bénéficier d'une considération pleine et entière qui favorise un déploiement des actions à son niveau. Il convenait donc de permettre aux échelons locaux de réaliser tout ce qu'ils étaient à même d'assumer aussi bien ou mieux que les échelons supérieurs. Dans ces conditions, la dévolution est vue comme la meilleure assise possible pour un aménagement du territoire et une gestion des ressources naturelles à la fois respectueux de l'intérêt local et des impératifs nationaux. Les tendances récentes au désengagement de l'Etat et à la décentralisation politique, avec un souci plus grande pour la durabilité des projets, ont concouru à ce que l'on a pris l'habitude d'appeler un développement rural décentralisé ou, surtout dans les pays de l'Amérique latine, la municipalisation du développement rural. Contrairement aux grandes projets caractéristiques du développement rural intégré, le développement rural décentralisé est fondé sur des petits projets plus proches des populations ainsi que sur leurs responsabilisation à des degrés divers. Ceci a permis l'identification de propositions ancrées à la réalité et, de ce fait, ayant plus de chance de se pérenniser. Un dernier déterminant des nouvelles formes de la décentralisation par dévolution a été la volonté de donner réponse à l'aspiration régionaliste, qui reflète la conscience d'une communauté d'intérêts à ce niveau et l'aspiration des populations de participer à la gestion de leurs intérêts. La région est apparue ainsi dans le débat sur la décentralisation comme le cadre le plus approprié pour mettre en place le renforcement des institutions et la coordination et cohérence des actions. Les régions sont les collectivités territoriales qui se sont le plus affirmées au cours des années récentes,(9) pour devenir les lieux principaux du développement économique et les gestionnaires les plus adaptés des équipements publics. 3. Responsabilisation et renforcement institutionnel des collectivités locales et des organisations de la société civile. Participation, concertation et partenariatLa dévolution est la forme la plus avancée mais la moins généralisée de la décentralisation. Elle implique le transfert de pouvoir vers une institution ou une association locale jouissant d'une grande autonomie, d'une personnalité juridique et d'une représentativité. Pour prendre tout son sens, cette forme de la décentralisation a besoin de s'accompagner de mécanismes permettant la participation populaire dans le processus de prise de décisions. Ce qui signifie corrélativement que la responsabilité (accountability) des fonctionnaires et des élus face aux citoyens soit elle aussi plus importante.C'est du point de vue de la décentralisation vue comme un moyen de permettre la participation populaire que les résultats sont pour l'instant les moins définitifs et que les défis sont les plus grands.(10) D'importantes réformes dans ce sens ont été essayées dans différents pays, mais leurs rythmes ne sont pas identiques: certaines réformes apparaissent comme irréversibles (Bolivie) alors que d'autres paraissent soit à peine engagées (Mali ou Colombie), soit au niveau de la déclaration d'intention (Guinée-Bissau). Si la dévolution implique la participation, celle-ci conduit à son tour à la recherche de nouvelles formes d'association ou de partenariat entre les acteurs locaux. Le partenariat est la dernière grande tendance de la décentralisation, qui a commencé à s'imposer comme la nouvelle donne du développement rural et local. Cette démarche rend compte de la reconnaissance du fait qu'à côté des institutions publiques, elles-mêmes avec des nouvelles fonctions, les autres acteurs locaux doivent être inclus dans les processus de prise de décision et de responsabilisation, que ce soit les organisations professionnelles ou de représentation, le secteur privé, et autres organisations non gouvernementales (ONG).(11) Une décentralisation globale, fondée sur la dévolution, la participation et le partenariat, apparaît aujourd'hui comme le défi principal pour les gouvernements qui souhaitent spécialiser les différents niveaux de gouvernement en la réalisation de certaines tâches bien précises. La spécialisation gouvernementale et spatiale implicite dans les nouvelles tâches de la décentralisation ferait, d'un côté, des niveaux locaux le type même des collectivités de proximité et de solidarité et, de l'autre côté, des niveaux intermédiaires tels que la région le type de collectivité tournée vers l'avenir moyennant leurs activités de développement économique, d'aménagement du territoire et de gestion durable des ressources naturelles. Le renforcement des rôles et responsabilités des instances issues de la société civile et des niveaux locaux de gouvernement devra privilégier l'objectif de participation populaire et la volonté de faire exister la concertation à tous les stades, en faisant en sorte que toute évolution de la décentralisation soit orientée vers une meilleure implication du citoyen dans la vie publique locale. Les tendances prévisibles de ces actions vont dans les deux directions suivants:
|